Foot, une passion française : le ballon rond est-il vecteur de cohésion ?

A l’issue d’une Coupe du monde forte en émotions, Destin Commun, avec Kantar Public France, est allé à l’écoute de groupes de Français, pour mieux comprendre leur rapport à cette grand-messe sportive et au football en général. Dans quelle mesure le foot contribue-t-il encore à la cohésion de notre société ? A l’heure où les Français se perçoivent toujours plus divisés, cette Coupe du monde a-t-elle renforcé notre fierté d’être Français ? L’analyse par Destin Commun de paroles de Français montre toute l’ambivalence du rapport à ce sport si fédérateur, et tire les leçons de la séquence Mondial, avant de se projeter vers l’accueil des Jeux Olympiques en 2024.

Destin Commun a interrogé deux groupes de Français (un groupe de la famille de valeurs des Identitaires, et un groupe de Stabilisateurs) pour mieux comprendre leur rapport au football. Si l’analyse révèle une forme d’ambivalence vis-à-vis d’un sport dont les valeurs sont en partie dévoyées et d’une Coupe du monde controversée, elle met aussi en évidence l’extraordinaire potentiel fédérateur du football.

Pour que cette parenthèse euphorisante produise des effets durables, il s’agit de renforcer la confiance dans le collectif et dans l’information, de mener un débat ouvert et apaisé sur notre identité nationale et notre rapport à l’intégration, et de nous réapproprier les symboles républicains au-delà des grands-messes sportives. Autant d’enseignements utiles pour nous projeter vers l’accueil des Jeux Olympiques par la France en 2024. 

« Dans un pays divisé et qui doute souvent de lui-même, la Coupe du monde est un des rares moments qui renforcent le sentiment collectif d’appartenance à la nation. Ces sensations puissantes mais éphémères doivent être prolongées en amplifiant l’éducation et l’intégration par le sport, et en nous réappropriant les symboles républicains auxquels les Français restent attachés, au-delà des grands-messes sportives » analyse Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun.

Les dernières enquêtes de Destin Commun ont mis en évidence une forte dégradation de la cohésion sociale : 7 Français sur 10 considèrent que le pays est « divisé » (vs. 50% des Allemands et 54% des Britanniques). En février 2019, 61% des Français étaient d’accord avec l’affirmation selon laquelle « nos différences ne nous empêchent pas d’avancer ensemble ». Ils n’étaient plus que 44% en juillet 2022 (tandis que 56% considèrent que “nos différences sont trop importantes pour que nous puissions continuer à avancer ensemble”).

Retours sur les points saillants mis en lumière dans ces discussions.

 Le foot : entre passion et déception

Des valeurs fortes restent associées au sport, mais la place de l’argent dans le football crée une tension avec sa dimension populaire. Pour autant, le caractère fédérateur, presque magique, de la ferveur collective ressentie lors des matchs reste largement partagée, et les deux groupes apprécient ces occasions de brassage, comparées au Tour de France ou à la Fête de la musique. C'est le sentiment de "regarder dans la même direction", avoir "un même objectif" qui revient, sorte de "projet commun" qui est perçu comme absent le reste du temps. 

"C’est les seuls moments où on peut avoir toutes les classes sociales mélangées dans la rue. L'intégralité de l'espace public envahi par tous les Français..." Gérard*, Stabilisateur 
"Zidane, il vient de la Castellane, une des pires cités de Marseille. Ici le foot fédère tout le monde autour de l’OM, c’est hallucinant la cohésion les soirs de match !" Elodie*, Stabilisatrice 
"Je ne sais plus si on peut parler de valeurs dans le football, c’est avant tout du business." Thomas*, Stabilisateur
"C’est indécent comme objectif pour des gamins, s’ils ne sont pas influenceurs ils veulent être footballeurs, c’est triste." Nicolas*, Identitaire 

L'expérience du stade est jugée comme encore plus fédératrice. Une expression revient spontanément : "c'est magique". L'expérience est aussi fédératrice que galvanisante et permet des moments de partage avec des inconnus. 

"Là on parle d’un one shot pour le Mondial, mais nous c’est tous les week-ends. Ma meilleure amie, je l’ai rencontré en tribune à Saint-Etienne. Quand on a été qualifiés pour la Coupe de France, un jeune m’a sauté dans les bras, c’est un partage avec des gens que l’on ne connait pas." Virginie*, Identitaire

Une Coupe du Monde en demi-teinte

Cette Coupe du monde a suscité des sentiments mitigés, entre l’envie de tourner la page du Covid et de retrouver un peu de légèreté dans un contexte morose, et les nombreuses controverses qui sont venues entacher l’événement.

"J’apprécie la bonne humeur que ça a pu apporter, car depuis la précédente Coupe du monde on a eu le Covid, l’Ukraine, l’inflation... Ca fait bien longtemps que les gens n’étaient pas heureux tous autour d’une télé." Antoine*, Identitaire 
"Cette équipe elle est pleine de fougue alors que la France elle n’est pas comme ça, elle est prise dans un marasme, plus la tête dans le sceau." Virginie*, Identitaire 
"Je boycotte depuis ma naissance le foot, donc cette année je boycotte encore plus !" Elodie*, Stabilisatrice 

Le rapport à l'Equipe de France, révélateur des tensions et des paradoxes liés à l'identité nationale

Le rapport à l’équipe de France est révélateur des tensions et des paradoxes liés à l’identité nationale, sujet sur lequel les Stabilisateurs et les Identitaires divergent profondément.

Les Stabilisateurs, dans une vision multiculturaliste de la société française, défendent contre les critiques une équipe de France « multicolore », et affirment que les bi-nationaux peuvent soutenir deux équipes. Ils relativisent les débordements attribués aux supporters marocains. 

"Cette politique de caniveau qui fait de la récupération a retenu certaines leçons de l’histoire, mais pas les bonnes. On ne veut pas voir qu’on a besoin de l’immigration. Et encore faudrait-il savoir définir ce qu’est un Français de souche ?" Aline*, Stabilisatrice 

Les Identitaires, à l’inverse, considèrent qu’une équipe avec de nombreux joueurs issus de l’immigration (bien que tous Français) « ne représente pas la France ». Tiraillés entre leur fierté de fans et leur discours ethno-identitaire, ils cèdent eux-mêmes à une forme de schizophrénie qu’ils dénoncent en France.

"Ça a été dit par Zemmour, ça aurait été dit par quelqu’un de LR on n’aurait pas critiqué. Il faut que les choses soient dites. Faut appeler un chat un chat ! Beaucoup de gens pensent ce que Zemmour a dit, mais y’a que lui qui l’a dit. On enterre, pas de vagues... Le problème c’est que c’est une petite cocotte-minute." Virginie*, Identitaire 

Mais tous se rejoignent autour de l’envie de se réapproprier les symboles républicains (drapeau, devise, Marianne) au-delà de ces temps forts sportifs.

"Quand un américain met son drapeau, il est fier, et quelqu’un qui met son drapeau français, ça fait parfois trop républicain. Alors que ça reste un drapeau, c’est le symbole d’un pays. Mais selon qui le met, ça n’a pas la même image, la même signification. Il n’y a que pendant le foot qu’il y a une connotation positive. Le reste du temps, non. Le patriotisme est très associé à l’extrémisme, et ça génère des tensions. Pour moi le drapeau français c’est se rejoindre et se regrouper en-dessous de son étendard France. C’est une unité sous le drapeau." Aline*, Stabilisatrice 
"Marianne quand je la vois ce n’est pas bon signe, c’est pour les impôts et les amendes. Je ne vois pas comment on peut utiliser un symbole comme ça que pour ça." Nicolas*, Identitaire 

Foot et politique : approbation de l'engagement, dénonciation de la récupération

Si la récupération du foot par la politique est dénoncée par les deux groupes, ils s’accordent en revanche pour approuver l’engagement des sportifs, et souhaitent les voir utiliser leur notoriété en faveur de causes d’intérêt général, plutôt que pour faire de la publicité pour des lunettes ou des voitures.

"En 98, après ils étaient tous partis faire de la pub pour de la lessive ou du shampoing. J’aimerais qu’on les voie sur autre chose, qu’ils fassent quelque chose de beau de leur célébrité." Mélanie*, Stabilisatrice 

S’agissant des appels au boycott de la Coupe du Monde au Qatar, tous se montrent contrariés par les pratiques de ce pays, mais s’accordent à considérer qu’il était « trop tard » pour boycotter, que le mal est fait, et qu’il aurait fallu agir en ce sens depuis 12 ans.

« C’est pas parce qu’on va pas le regarder que tous les morts vont ressusciter !" Annick*, Identitaires 

Un consensus apparaît aussi autour de l’idée que les prises de positions les plus politiques doivent revenir aux politiques, ou aux responsables de fédérations. Les choix vestimentaires des ministres des sport française et allemande en soutien à la cause LGBT ont été relevés et appréciés dans les deux groupes. 

La perspective des JO de Paris 2024 : un enjeu de fierté nationale

A 18 mois de l’accueil par la France des Jeux Olympiques et Paralympiques, Stabilisateurs et Identitaires se rejoignent dans leurs attentes vis-à-vis de cet événement : sécurité et efficacité logistique sont les deux priorités. Le fiasco de Saint-Denis a traumatisé les Identitaires, et les Stabilisateurs refusent de montrer au monde une « France à l’arrêt » ou « en grève ».

"On a tout de même fait nos preuves pour le manque d’anticipation. C’est déplorable." Annick*, Identitaire 

Quelles leçons retenir ?

Après deux années de Covid et une succession de crises anxiogènes, la cohésion sociale et la perception de solidarité sont profondément dégradées dans notre pays. Dans ce contexte, l’élan d’enthousiasme et la ferveur unanime de toutes les composantes de la société autour de la Coupe du Monde sont d’une puissance rare pour réactiver un sentiment de communion et de fierté nationale. Il est indispensable de sanctuariser ces moments fédérateurs, ainsi que les autres qui ont été cités : le Tour de France, la Fête de la musique, le 14 juillet et les Jeux Olympiques. 

Mais la confiance et le sentiment de cohésion se construisent dans la durée et la régularité, et non pas seulement à l’occasion d’événements ponctuels, aussi puissants soient-ils. Ainsi les effets positifs de la Coupe du Monde ne seront qu’éphémères et déceptifs sans un travail de fond sur certains paramètres : 

  • Réinvestir les symboles : devise républicaine, drapeau, Marianne – les Français restent attachés à ces symboles, dans tous les groupes. Il s’agit de leur permettre de se les réapproprier, au-delà des grands-messes sportives ou des événements tragiques comme les attentats, et indépendamment de toute logique partisane.
  • Médias : poursuivre les efforts pour une révolution vers un traitement positif et moins anxiogène de l’actualité, pour rendre plus visibles les « Bonnes actu » (cf Hugo Décrypte, cité dans un groupe), et les manifestations de fraternité et de solidarité.
  • Education et intégration par le sport : renforcer les moyens. Au-delà de l’Education Nationale, les administrations et les entreprises pourraient aussi contribuer davantage à la généralisation d’une pratique sportive inclusive et favorisant le brassage.
  • Appuyer et accompagner le rôle sociétal des sportifs : les footballeurs, dont le rôle de modèle est plébiscité, pourraient être davantage formés aux enjeux de l’intérêt général, et accompagnés dans leurs engagements pour éviter les risques d’instrumentalisation.
  • Immigration et identité nationale : sortir de la distorsion créée par la « France polémique », et ouvrir le débat au « milieu ambivalent ». Sans légitimer de propos xénophobes, accueillir les interrogations et reconnaître l’anxiété ressentie par certains est indispensable pour ne pas renforcer la tentation de l’extrême-droite, et éviter une explosion de la « cocotte-minute identitaire ».
  • Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 : une opportunité unique d’expérimenter la communion nationale par le service et l’engagement. Développer des dispositifs à grande échelle d’engagement bénévole des jeunes, contre l’obtention de billets.