Le premier adjectif choisi par les Français pour qualifier la France est « divisée », puis « chaotique » et « corrompue ». Mais leur France idéale dans 10 ans est « respectueuse de l’environnement », « humaine » et « éduquée ». Comment combler ce fossé ? Destin Commun dessine un cap pour sortir du brouillard qui caractérise la période actuelle.
De la France des balcons à la France de la division
Le constat est sans appel : la cohésion sociale est en chute libre après deux années de Covid. Si le début de la pandémie avait fait naître un sentiment de solidarité, aujourd’hui pour 87% des Français, c’est le « chacun pour soi » qui prévaut, alors qu’ils n’étaient que 45% à le penser en juin 2020. Plus encore, si en février 2019, 61% des Français pensaient que nous étions capables de dépasser nos divisions pour avancer ensemble, ils ne sont plus que 37% aujourd’hui. Menée simultanément dans six pays d’Europe, l’étude montre que ce pessimisme, parfois qualifié de français, a aujourd’hui gagné nos voisins.
Incertitude, impuissance, défiance : la nouvelle équation de la contestation
L’incertitude est devenue une tendance lourde dans la société française. Mais selon Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun, “la pandémie a créé un profond hiatus : si certains avancent et font des projets, les Identitaires et les Laissés pour Compte sont restés bloqués sur la fréquence Covid”. L’incertitude se lit aussi en politique puisqu’à deux mois du scrutin présidentiel, c’est près d’un Français sur trois – outre les abstentionnistes - qui n’a pas fait son choix. Ces personnes ont des opinions plutôt modérées, et sont pour les deux tiers des femmes.
Chez certains, cette incertitude se double d’un sentiment d’impuissance. Plus stressés que la moyenne par la complexité administrative, Identitaires et Laissés pour compte ont le sentiment de ne pas avoir la maitrise de leur propre vie. Ils ne ressentent pas les effets des politiques publiques, et ont tendance à sous-évaluer les aides qu’ils ont reçues durant la pandémie.
Incertitude et sentiment d’impuissance nourrissent une défiance qui peut déboucher sur une orientation complotiste. Un tiers des Français sont convaincus que l’« on nous cache la vérité sur le Covid-19 ». Cette proportion est la plus élevée des six pays d’Europe analysés dans l’étude, avec la Pologne. Et cette opinion est majoritaire chez les Identitaires et Laissés pour Compte, qui représentent ensemble 4 Français sur 10. La pandémie a rétréci les horizons des Français, et par voie de conséquence, leur cercle de confiance : ils accordent prioritairement leur crédit à leurs proches, souvent cités comme référence dans les discours à connotation complotiste.
Si l’étude pointe une cohésion sociale fragilisée, elle identifie aussi des sujets de convergence.
L’aspiration commune à une France verte, juste et apaisée
Inégalités et pauvreté, premières préoccupations des Français
Pour les Français, la division la plus forte dans notre société est celle entre riches et pauvres. Interrogés sur la devise nationale, la moitié des Français considèrent qu'aucune des trois valeurs républicaines n'est bien appliquée. Les Français déplorent une devise à deux vitesses : la liberté est la valeur la mieux appliquée, mais l’égalité et la fraternité sont en berne. Un fort consensus se dégage sur ce point, dans tous les segments, et tous les électorats.
Transition écologique : un fort consensus pour dessiner un nouveau projet commun
Selon Laurence de Nervaux, “l’enjeu climatique est sans doute l’axe de consensus le plus important identifié par l’étude, et ouvre des voies vers l’action”. 82% des Français se disent inquiets du changement climatique. Ce sujet s’est installé, malgré la crise, dans le top 5 des préoccupations des Français. Autre élément de consensus : la France doit agir quelle que soit l’attitude des autres pays (62%), et le gouvernement n’en fait pas assez pour protéger l’environnement (70%).
Les Français partagent une conscience forte de la nécessité d’agir au quotidien pour répondre à l’enjeu climatique (79%) et se sont approprié les écogestes, mais leurs attentes sont élevées vis-à-vis du gouvernement, de l’Union Européenne et des grandes entreprises. Enfin, l’enjeu écologique n’est désormais plus mis en opposition avec la question de l’emploi. 8 Français sur 10 considèrent que la transition écologique est une opportunité pour créer de nouveaux emplois en France, conviction partagée jusqu'aux électeurs d’Eric Zemmour (62%) - plus climato-sceptiques que la moyenne - et de Marine Le Pen (67%).
Débat public, réseaux sociaux : conscience des dangers, demande de régulation
La défiance envers les médias se confirme, et les Français font preuve d’exigence concernant le débat public. Si 9 sur 10 d’entre eux le jugent de plus en plus agressif, ils sont aussi 58% à dénoncer le politiquement correct, et 2 sur 3 considèrent qu’on ne peut plus s’exprimer librement.
64% des Français dénoncent la polarisation induite par les réseaux sociaux, et 81% pensent qu'ils sont dangereux pour nos enfants. Une majorité des Français, dans tous les électorats, demandent davantage de régulation des réseaux sociaux. Ce sont même jusqu’à 65% des Français qui seraient favorables à une approche radicale : l’interdiction par l’Etat des réseaux sociaux au moins de 16 ans. “Au sentiment diffus d’impuissance répond une aspiration à reprendre le contrôle, ici sur l’emprise du numérique”, analyse Laurence de Nervaux.
Trois France vivent en parallèle
Entre les 6 familles de Français définies par Destin Commun, le contexte actuel a donné lieu à des rapprochements qui dessinent trois grands groupes, caractérisés par leur orientation plus ou moins pessimiste, et leur degré d’engagement ou d’individualisme :
• Les déclinistes anxieux (42%) : les Identitaires et les Laissés pour compte se considèrent comme perdants, et convergent autour d’un pessimisme fermé, et parfois complotiste. Ce rapprochement, déjà en gestation en 2019, a été accentué par la pandémie. Néanmoins les Identitaires sont davantage focalisés sur la question migratoire, tandis que les Laissés pour Compte accordent une plus grande importance à la question sociale. Ceux-ci sont plus indécis sur leur vote, voire abstentionnistes, tandis que les Identitaires sont très engagés vers l’extrême droite.
• Les pessimistes engagés (31%) : Les Militants désabusés et les Stabilisateurs, eux aussi pessimistes, sont au contraire investis dans la vie démocratique et citoyenne, même si les Militants désabusés sont souvent incertains sur leur vote en avril 2022. Ouverts à la diversité culturelle, ces derniers sont aujourd’hui fragilisés dans leurs convictions.
• Les optimistes individualistes (27%) : les Libéraux optimistes et les Attentistes sont souvent dans un optimisme décalé, teinté d'individualisme pour les Libéraux Optimistes, de désengagement et de déconnexion chez les Attentistes. Ceux-ci, plus éloignés des services de proximité, sont aussi moins vaccinés contre le Covid.