Violences, police, quartiers : l'opinion des Français est plus nuancée que polarisée

Suite à la mort du jeune Nahel et aux violences urbaines qui ont suivi, les Français ont-ils tous choisi un camp ? Police ou jeunes des quartiers, cagnotte A ou cagnotte B ? Le think tank Destin Commun a interrogé les Français, avec Kantar Public France, pour saisir les différentes visions qui traversent la société française. L'enquête dessine le portrait d’une France anxieuse et consciente des problèmes de fond, mais surtout modérée et nuancée. A deux jours de la fête nationale, les Français expriment un désir de justice mais aussi d’apaisement, et appellent de leurs vœux un débat approfondi et lucide sur les quartiers populaires comme sur la police.

Mort de Nahel, police, émeutes : des opinions nuancées plutôt que binaires

“On peut ressentir de la colère au sujet de la mort de Nahel et en même temps penser que la police a une mission particulièrement difficile” : 76% des Français sont d’accord avec cette affirmation.

"Après les événements qui ont secoué la France depuis la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, la tentation est grande d’opposer les Français en deux camps, entre les défenseurs de la police et ceux des jeunes des quartiers. Face au piège de la polarisation, la réalité est bien plus complexe et nuancée : 3 Français sur 4 ne se retrouvent pas dans cette vision manichéenne de notre société."

Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun.

Les Français s'inquiètent majoritairement du climat d'hostilité envers la police (80%), mais aussi envers les jeunes des quartiers populaires (52%). Ces deux opinions se conjuguent plutôt qu'elles ne s'excluent : 80% des personnes qui s’inquiètent de l’hostilité envers les jeunes des quartiers se disent aussi inquiets de l’hostilité envers la police. Par ailleurs, à rebours de l’image d’une insécurité généralisée, deux tiers des Français (64%) disent se sentir en sécurité là où ils habitent.

Loin d’une vision “anti-flics”, les Français reconnaissants mais exigeants envers les forces de l’ordre

La police ne souffre pas d’un rejet de la part des Français. Leur soutien aux forces de l’ordre est largement majoritaire : 

  • 82% des Français considèrent que “les policiers se mettent en danger pour nous, ils méritent notre respect”.
  • 69% considèrent que “les policiers sont trop mal payés compte tenu de leurs conditions de travail”.

Mais ce large soutien n’empêche pas les Français de reconnaître les défaillances de la police, notamment l’existence de comportements racistes, et d’exiger davantage de redevabilité : 

  • Malgré l'appréhension mitigée des discriminations liées à l'origine (45% des Français jugent qu’il est plus difficile en France d’être arabe ou noir que blanc), s’agissant de la police, 7 Français sur 10 reconnaissent l’existence de comportements racistes, sans pour autant les juger systématiques. 
  • Plus d’1 Français sur 4 (27%) considèrent que suite aux violences urbaines, lancer une réforme de la police devrait être une des trois priorités pour le pays. 

Là encore, les opinions sont faites de nuances plutôt que de binarité : 

  • Parmi les 40% de Français qui considèrent que les policiers devraient être davantage tenus responsables de leurs fautes, 73% considèrent dans le même temps que les policiers se mettent en danger pour nous et méritent notre respect.

Police et discriminations : un clivage générationnel dans l’opinion

Les écarts dans l’opinion quant à l’image de la police révèlent un clivage générationnel : l’idée que les policiers se mettent en danger pour nous et méritent notre respect recueille 91% d’opinions favorables chez les plus de 65 ans, contre 68% chez les 18-24 ans. De même, tandis que 77% des seniors considèrent que les policiers sont trop mal payés compte tenu de leurs conditions de travail, ce n’est le cas que de 51% des plus jeunes.

A l’inverse, s’agissant des discriminations liées à l’origine, les jeunes sont aussi ceux qui considèrent le plus qu’en France, au quotidien, il est plus difficile d’être arabe ou noir que blanc : 64% des 18-24 ans sont de cet avis, contre 45% des Français en moyenne et 40% des 65 ans et plus.

Enfin, lorsqu'on interroge les Français sur les priorités pour le pays à la suite des violences urbaines, un net décalage se dessine aussi selon les générations : les séniors privilégient la justice et les sanctions contre les délinquants, tandis que les jeunes sont plus favorables à une réforme de la police : 65% des 18-24 ans considèrent que les policiers devraient être davantage tenus pour responsable de leurs fautes, contre seulement 29% des 65 ans et plus. 

Soutien de l’Etat aux quartiers populaires : les Français entre adhésion et besoin d’informations 

Deux fois plus de Français pensent que les pouvoirs publics n'en font pas assez pour les quartiers populaires (40%), en comparaison de ceux qui pensent qu'ils en font trop (21%). De plus, 1 Français sur 4 (24%) trouve difficile de se faire une opinion sur l'action des pouvoirs publics en faveur des quartiers populaires. 

"Comme sur beaucoup de sujets, les Français sont dans le flou quant à l’action des pouvoirs publics en direction des quartiers populaires. Cette indétermination appelle un débat approfondi et apaisé sur le bilan de l’action publique en faveur de ces territoires et sur leurs besoins, au-delà de la simple mention des milliards dépensés qui, sans analyse du contexte, renforce la défiance et les lectures populistes."

Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun

On ne nait pas Français, on le devient : la conception culturelle de l’identité française l’emporte sur la vision identitaire

Enfin, alors que les violences urbaines ont relancé un débat sur l’immigration et l’identité nationale, l’enquête apporte des éléments de réponse essentiels. A rebours des discours identitaires, les Français valorisent beaucoup plus l’acculturation à l’identité française par la langue et les traditions que l’exigence d’avoir des origines françaises. Ainsi, pour être Français, 92% des répondants considèrent qu'il faut être capable de parler français, 80% qu’il faut suivre les coutumes et les traditions françaises, tandis que ce ne sont que 59% qui considèrent important d’avoir des origines françaises.

Là encore un clivage générationnel se dessine : si les plus de 65 ans restent plus attachés au fait d’avoir des origines françaises (63%), c’est bien moins le cas des 25-34 ans (49%).

Méthodologie : 

Enquête en ligne réalisée par Kantar Public France, auprès d'un échantillon de 1000 personnes représentatives de la population française selon la méthode des quotas socio-démographiques, du 7 au 9 juillet 2023.