La Terre du Milieu : un an après les législatives, la France modérée face à l'extrême-droite

Le lundi 19 juin 2023 marque le premier anniversaire de l’élection de la nouvelle Assemblée Nationale et l’installation, pour la première fois, de 89 députés du Rassemblement National sur les bancs de l’hémicycle. Quel impact cette nouvelle représentation a-t-elle eu sur l’image du parti d’extrême-droite chez les électeurs modérés ? C’est ce qu’a cherché à comprendre le think tank Destin Commun, en se mettant à l’écoute de groupes de Français. Sa nouvelle étude, « La Terre du Milieu. Législatives, un an après : la France modérée face à l’extrême droite » offre un décryptage inédit de la perception du RN par les segments de la population qui ne constituent pas son électorat. Ces échanges approfondis révèlent que si ces électeurs restent immunisés, sur le fond, contre les idées du RN, la forme constitue un territoire de conquête qui, en un an, a déjà produit des effets.

RN vs. NUPES : le silence et le bruit

Un an après l’élection de la nouvelle Assemblée nationale, l’image qu’en ont les électeurs modérés est extrêmement dégradée : « spectacle », « cour de récréation », « basse-cour ». Une année qualifiée de « bordélique », de « choatique », de « foutoir ». 

On observe une perception des groupes politiques en miroir, entre d’un côté les députés de la NUPES, et plus encore de La France Insoumise, et de l’autre ceux du Rassemblement National. Dans ce face à face, ce sont d’abord les députés de la NUPES qui sont jugés responsables de la détérioration de l’image et du fonctionnement de l’Assemblée nationale.

« Autain, le rouquin qui a mis une tarte à sa femme (Adrien Quatennens, ndlr), le Ruffin... les députés NUPES, ce sont eux qui ont rendu l’Assemblée totalement décadente ! » Nathalie, 47 ans, Ecully (Stabilisateurs) 

A l’inverse, le travail de normalisation mené par les députés RN, qualifié de « stratégie de la cravate », semble porter ses fruits.

« Au moins, c’est vrai qu’ils savent se tenir, contrairement à la NUPES. » Joan, 30 ans, Lille (Libéraux optimistes) 

« Cette enquête vient confirmer l’importance de l’ethos du personnel politique, que nous avions pointée lors d’une précédente étude réalisée auprès d’abstentionnistes. La conflictualité, la cacophonie participent largement à la désaffection des Français pour la politique. A ce jeu, la France Insoumise sort grande perdante et participe, par un effet de contraste saisissant, à renforcer l’impact de la posture lisse et propette adoptée par le Rassemblement national. »

Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun et co-autrice de l'étude

Le RN à l’Assemblée, le “néant voulu”

L’enquête identifie néanmoins une faille dans la stratégie du RN. L’image qui résulte de cette stratégie de l’esquive permanente est floue et marquée par l’imprécision. Exemple frappant : pour nombre de participants, impossible de citer spontanément le nom d’un député RN… à l’exception de Jordan Bardella, qui ne siège pourtant pas dans l’hémicycle. 

« Ils ne se font pas remarquer, ils sont terriblement proprets, sans aucune tâche.» Andrée, 55 ans, Wasquehal (Stabilisateurs) 

Une enquêtée résume l’image associée aux députés RN en une phrase : « c’est le néant voulu ». Ce vide, perçu comme imposé par un parti centralisateur et autoritaire, est à double-tranchant, permettant à la fois de faire baisser le niveau de dangerosité associé aux députés en leur conférant le bénéfice du doute, mais produisant dans le même temps une certaine invisibilisation, et renforçant la perception d’amateurisme.

« S’ils proposaient des choses radicales, ça se saurait ! » Henry, 53 ans, Vemars (Stabilisateurs) 

« Sur le dossier des retraites, il n’y avait aucune idée, aucune contre-proposition, on ne sait pas ce qu’ils pensent en fait. » Sandrine, 44 ans, Léognan (Libéraux optimistes)

 

La « facho-anxiété » comme ultime repoussoir 

« Dangereux ». Cet adjectif revient spontanément une vingtaine de fois au cours des discussions, preuve que l’effort de dédiabolisation n’a pas entièrement atteint ces groupes. Pour cette France modérée, le RN est bien d’extrême droite, qualifié de « raciste », « extrémiste », « méchants ». Autre signe d'une immunisation persistante : l’invective du député Grégoire de Fournas, « qu’il retourne/qu’ils retournent en Afrique », a marqué les esprits, comme une confirmation de la réalité de l’identité du RN au-delà de la stratégie adoptée. 

« Je les trouve dangereux parce qu’on ne les remarque pas. On a l’impression qu’ils font tout pour se racheter une virginité : c’est très sournois. »
Andrée, 55 ans, Wasquehal (Stabilisateurs) 

« Cette facho-anxiété est indirectement renforcée par la stratégie de l’esquive permanente adoptée par le RN : plus le danger est impalpable, plus l’anxiété monte. Les réalisateurs de film d’horreur le savent bien : le spectateur est d’autant plus angoissé et effrayé que le monstre reste invisible le plus longtemps possible.»

Raphaël Llorca, co-auteur de l’étude et Senior Fellow de Destin Commun.

Marine Le Pen : entre obsolescence et lidlisation

« Imaginez que Marine Le Pen soit une marque de grande consommation… ». Cette technique projective, utilisée lors des groupes de discussion, a permis de dépasser le risque de discours automatique autour d’une personnalité présente dans le paysage politico-médiatique depuis plus de 20 ans. Les réponses mettent en lumière la transformation des imaginaires modérés sur Marine Le Pen.

« Un walkman », « une épave automobile », « Damart » : ce registre de l’obsolescence contraste très nettement avec la facho-anxiété exprimée auparavant. Mais cette ringardisation peut aussi symboliser l’aboutissement de la dédiabolisation : impossible d’imaginer les Tuche à l’Élysée comme de dangereux dictateurs. 

« Non, elle est dépassée, elle fait de la politique ancienne génération, elle n’arrivera jamais à l’Élysée. Mais je vois plus Bardella,il est de la nouvelle génération. » Mateo, 34 ans, Billère (Libéraux optimistes) 

Autre image éclairante : Marine Le Pen est spontanément associée à la marque Lidl, qui a su en quelques années de passer de marque-repoussoir à marque désirable. 

« Une marque qui n’attirait pas, qui s’est lissée et qui a pris un chemin pour plaire aux consommateurs en allant dans leur sens. » Gilles, 49 ans, Tours Stabilisateurs 

« On observe un équilibre fragile au sein de la France modérée. Elle est à la fois marquée par une perception du RN adoucie et lissée qui, si elle est dénoncée comme fausse, n’en est pas moins intériorisée, et la prégnance encore forte d’une facho-anxiété et d’une association du RN avec tous les dangers de l’extrême-droite. La percée de l’extrême-droite dans les imaginaires modérés se joue sur la forme, et en cela, la lidlisation de Marine Le Pen marque une transformation d’image avancée, la sortant du champ de la répulsion pour passer à la curiosité, voire l’attraction."

Raphaël Llorca, co-auteur de l’étude et Senior Fellow de Destin Commun.

Un territoire propice : la paralysie des imaginaires unitaires

L’évolution de l’image du RN s’opère dans une France très nettement perçue comme divisée, et où aucune figure unitaire ne semble se détacher. Dans les imaginaires, le pays est vu comme un bateau à la dérive, si ce n’est en train de couler, la coque étant percée de toutes parts.

« Alors qu’aucune figure unitaire ne se détache, il est urgent de ne pas laisser le parti politique dont le cœur de métier est la peur et la division se revendiquer du Rassemblement."

Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun et co-autrice de l'étude

 

Contact presse : Marion Cosperec - marion@destincommun.fr