Information : cinquante nuances de défiance. Les Français face à la désinformation

Dans son étude "Information : 50 nuances de défiance", Destin Commun analyse la relation des Français à l’information et aux médias pour mieux comprendre leur rapport à la désinformation. L’étude révèle que 7 Français sur 10 se déclarent aujourd’hui inquiets de la désinformation. Loin de situer les Français dans deux camps opposés, entre rationnels et complotistes, l’analyse dessine un continuum de la défiance envers l’information, qui concerne la majorité des Français. Ce constat résulte d’une analyse fondée sur la psychologie sociale et les systèmes de valeurs, dessinant une typologie en six groupes, de la confiance fragilisée à l’obsession de la manipulation, et jusqu’à la sécession médiatique.

« Lutter contre la désinformation nécessite de sortir d’une posture binaire qui opposerait complotistes et garants de la raison. Pour cela, il faut d’abord analyser le rapport des Français à l’information en général. Or ce rapport, majoritairement dégradé et que l’on peut souvent qualifier de pathologique, dessine en réalité un continuum de la défiance dans lequel chaque Français peut se retrouver. »

Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun et co-autrice de l’étude.

Entre défiance et dépendance, un rapport pathologique à l’information

Trois critiques se font nettement jour, correspondant à trois risques pour le consommateur d’information :

  • Le risque de la noyade : face à une offre informationnelle pléthorique, la sensation d’indigestion voire d’overdose est récurrente. Mais si bon nombre de Français déclarent renoncer à cette information surabondante, l’expression « je coupe » masque souvent une addiction dont ils sont peu conscients.
  • Le risque de la dépression : plus d’un quart des Français (28%) déclarent moins suivre les informations car ils les trouvent généralement trop négatives.
  • Le risque de l'égarement : seule une infime proportion des Français (9%) affirment qu'ils n'ont aucune difficulté à faire confiance aux informations qu'ils lisent ou voient, et 40% considèrent que les responsables politiques manipulent les informations.

Plus encore que les chiffres, les paroles des Français, recueillies lors de groupes de discussion, illustrent ce rapport à l’information mêlant souffrance et défiance :

« J’ai eu trop d’infos pour mon petit cerveau, et j’en ai pleuré. » Nathalie, Laissée pour compte
« Les médias sont plus alarmistes justement pour rendre le citoyen plus soumis à l’obéissement, pour mieux imposer leur point de vue. Un journaliste qui dit la vérité n’est plus journaliste. » Damien, Attentiste                               

« Les Français ont le sentiment d’évoluer dans un univers informationnel risqué : 7 sur 10 sont inquiets de l’exposition à la désinformation. Face à une offre quasi-infinie et ouverte, chacun tend à faire son marché, jusqu’à l’illusion de pouvoir choisir non pas seulement les canaux d’information, mais même jusqu’aux contenus de l’actualité. Ce phénomène de customisation du réel, transposé de l’univers de la consommation où la personnalisation est la norme, peut être le premier pas vers une forme de sécession du collectif. »

Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun et co-autrice de l'étude

Réseaux sociaux : les Français conscients des dangers

L’étude révèle le principal facteur d’inquiétude face à la désinformation : l’utilisation régulière des réseaux sociaux comme source d’information. 72% de ceux qui les consultent régulièrement pour s’informer partagent cette inquiétude, contre 65% de ceux qui ne les utilisent jamais pour cela.

Les Français partagent par ailleurs une opinion très critique des réseaux sociaux : 64% estiment que les points de vue les plus extrêmes y prennent trop de place, et 45% pensent qu’ils représentent une menace pour le bon fonctionnement de la démocratie.

Le rapport à l’information au prisme des systèmes de valeurs : le continuum de la défiance

L’étude démontre que pour expliquer les différences de degrés dans cette défiance à l’égard de l’information, l’analyse des déterminants psycho-sociaux et des systèmes de valeurs est plus explicative que les indicateurs socio-démographiques. A partir de la méthodologie développée par Destin Commun, qui a identifié six familles de valeurs au sein de la société française, l’étude présente une typologie des Français selon leur rapport à l’information et aux réseaux sociaux. Ces six groupes sont tous situés sur un continuum de la confiance à la défiance vis-à-vis de l’information : “confiants fragilisés”, “informés modérés”, “consommateurs sélectifs”, “suspension du jugement”, “obsession de la manipulation” et “sécession médiatique”. L’on comprend dès lors que cette défiance n’est pas seulement le fait d’un ou deux groupes mais, à des degrés divers, de l’ensemble de la société française.

« Les groupes les plus défiants face aux médias, les Laissés pour compte et les Identitaires, sont aussi ceux qui se retrouvent dans une nouvelle équation de la contestation, alimentée par l’incertitude, et le sentiment de complexité et d’impuissance. Alors que défiance médiatique, politique et démocratique se rejoignent, il est urgent d’œuvrer en vue d’une véritable transition informationnelle : l’éducation aux médias et aux images, la pédagogie de la fabrique de l’information et le journalisme de solutions sont quelques-unes des pistes à poursuivre. » 

Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun et co-autrice de l'étude